Le temps d’une guignolée en revanche, nous connaissons un regain de sensibilité à l’endroit de ceux et celles qui sont contraints de choisir entre acheter de la nourriture ou payer leur loyer. Mais nous n’avons pas l’audace de nous attaquer aux barrières qui les empêchent de trouver un travail qui avec un revenu suffisamment décent pour soutenir une famille.L’immigration devient alors le paravent des divisions économiques entretenues au cœur de notre société et nous fermons les yeux devant « la guerre des places » qui se poursuit de plus belle. Pendant ce temps, les actionnaires sablent le champagne quand l’entreprise annonce 10000 mises à pied, ce qui a pour effet d’entraîner à la hausse la valeur de leurs actions. Quant aux nouveaux chômeurs, on se demande s’il leur restera suffisamment de courage pour s’interroger sur leur propre sort, réduits qu’ils sont à être des pions qu’on déplace dans le grand jeu de Monopoly de la finance planétaire.
Ces fractures font mal. Elles font mal à beaucoup de gens.. Même si elles font aussi partie de nos débats démocratiques, elles n’en demeurent pas moins occultées et finissent par devenir intouchables. Les dirigeants politiques, qui ont à gérer ces fractures, acceptent malheureusement trop souvent de céder aux pressions des plus forts, qui savent faire entendre leurs messages par la bouche des maisons de notation ou d’officines ultralibérales comme l’Institut économique de Montréal.. Pour conserver leur clientèle, leur regard ne porte pas plus loin que le court terme, si bien que les fractures s’aggravent, que la réalité demeure fragmentée, et que ce sont encore les personnes les moins bien nanties qui font toujours les frais des décisions qui se prennent à leur détriment.
Une naissance qui dérange
La fête de la Nativité, me semble-t-il, vient remettre en question cette dynamique qu’on veut faire passer pour normale.
Elle le fait moins par idéologie savante que par le rappel d’un événement en apparence banal : la naissance d’un enfant. Mais attention! Cet enfant est inscrit dans une lignée assez particulière, où l’on retrouve des rois et des étrangères, des prophètes et des chercheurs de sens « qui viennent d’Orient », comme il est dit des rois mages.
Autour de cet enfant, se tiennent une femme toute simple et un homme qui a des songes et qui se méfie du roi en place. Des marginaux aussi, arrivés des champs où ils gardent des troupeaux, ce qui les empêche de participer au culte officiel. Si l’on ajoute, avec François d’Assise, le bœuf et l’âne, c’est la nature toute entière qui est de la partie, y compris les étoiles qui ont l’air de turluter dans le noir une promesse de renouveau à une société qui ploie sous les impôts des Romains et l’arbitraire des grands propriétaires.
Ce tableau d’ensemble nous est sans doute trop familier. Pourtant, il constitue moins une scène touchante ou bucolique qu’un appel dérangeant et pressant à quereller un réel qui nous fait mal pour entrevoir une vérité plus riche, plus audacieuse, qui se devine dans des liens recréés avec des personnes exclues de la table collective, dans la complicité établie avec ceux qui cherchent à donner du sens aux efforts collectifs, dans la solidarité avec les voisins immigrés ou dans la colère devant la fragilisation croissante de la planète.
Enfants de demain
Je suis frappé de constater à quel point le regard des enfants de la génération à venir interroge, déjà, de plus en plus de personnes qui veulent leur laisser un monde plus habitable. L’enfant de Noël est le frère de ces enfants de demain. Il anticipe une réconciliation qui reste à faire avec l’ensemble du réel qui nous entoure.. Les liens esquissés dans le vieux récit doublement millénaire remettent en cause les fractures qui nous programment et les institutions qui les entretiennent
C’est peut-être cette intuition entrevue qui pousse beaucoup de gens à se retrouver à l’occasion de Noël, à intégrer dans leurs réjouissances une personne exclue, à risquer un geste inédit. Comme si les compteurs étaient remis à zéro, comme si l’imprévu pouvait encore frapper à notre porte et que des chemins, hier encore inimaginables, pouvaient, demain, être tracés.